Lettre ouverte à Son Excellence M. Tomasz Młynarski, Ambassadeur de Pologne en France
Monsieur l’Ambassadeur,
Les 21 et 22 février derniers s’est tenu à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) un colloque international portant sur « la nouvelle école polonaise d’histoire de la Shoah », en partenariat avec la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, le Centre national de la recherche scientifique et l’Université de Strasbourg. Il a réuni des chercheurs dont la légitimité scientifique est reconnue dans le monde entier et qui, depuis près de vingt ans, ont permis à l’historiographie polonaise de la Shoah et à l’historiographie de la Shoah en Pologne d’accomplir des progrès considérables et salués internationalement.
Ce colloque s’inscrivait aussi, pour l’Ecole des hautes études en sciences sociales, dans la continuité d’une tradition, à laquelle nous sommes particulièrement attachés, de relations fortes avec les chercheurs polonais. Je ne rappellerai que l’un des moments les plus éminents de cette histoire, celui qui vit en 1986 Jacques Le Goff prononcer à Paris le texte qu’avait préparé pour cette occasion son collègue et ami Bronislaw Geremek, « retenu » en Pologne par les autorités communistes. C’est bien de liberté académique, indissociable de la liberté même de penser, qu’il s’agissait alors.
C’est cette même liberté académique qui vient d’être attaquée d’une façon inacceptable.
Les organisateurs du colloque qui s’est tenu à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, ainsi que la présidence de cette dernière, ont fait l’objet de pressions insidieuses visant à le faire annuler ou à en faire modifier le contenu scientifique. Les deux journées de ce colloque ont-elles-mêmes été perturbées par divers incidents provoqués par une trentaine d’individus. L’appartenance de ces individus à la mouvance nationaliste polonaise ne saurait faire – au regard de leurs propos et de leur attitude générale – l’objet du moindre doute. Des propos antisémites, d’une extrême gravité, ont même été tenus pendant et en marge du colloque.
Plusieurs éléments supplémentaires nous préoccupent particulièrement. En effet, un représentant de l’Institut pour la mémoire nationale (IPN), instance officielle polonaise, présent dans la salle, lorsqu’il lui a été donné de prendre la parole, n’a guère jugé utile de prendre ses distances à l’égard des comportements et des propos qu’il lui avait été donné d’observer deux jours durant. En outre, votre Ambassade a relayé sur les réseaux sociaux, en amont du colloque, un message de l’IPN adressé notamment à l’Ecole des hautes études en sciences sociales dans le contexte que j’ai décrit. Enfin, sommées de se conformer aux règles de l’établissement, certaines personnes ont déclaré qu’elles « se plaindraient à l’Ambassade de Pologne ».
Dans ces circonstances, une clarification officielle de votre part est indispensable. Je ne peux évidemment croire que vous n’ayez à cœur de lever immédiatement tout doute sur un possible soutien de votre Ambassade aux comportements honteux constatés à l’occasion de ce colloque et qui ne peuvent que donner de la Pologne une image déplorable.
Je vous prie de croire, Monsieur l’Ambassadeur, à l’expression de ma haute considération.
Christophe Prochasson
Président de l’EHESS
Paris, le 28 février 2019
Photo : ambassade de Pologne à Paris