Jean-Yves Potel, écrivain et historien de l’Europe centrale, spécialiste de la Pologne, retrace l’histoire des 30 années de reconfiguration européenne et livre une analyse approfondie de la transition du communisme en faillite vers l’économie du marché, menée dans les pays de l’ex-bloc soviétique avec les succès variables. Ces 30 années ont façonnées notre Europe d’aujourd’hui. Son livre L’Europe nue, où il poursuit cette réflexion, paraîtra en février 2020 aux éditions Circé.
A lire sur le blog de JEAN YVES POTEL sur Médiapart (liens ci-dessous)
Photo ©Piotr Grudzinski
Des révolutions démocratiques
1989 restera, qu’on le veuille ou non, une année de révolutions en Europe. Un « moment charnière » dit-on pudiquement aujourd’hui, un événement qui se réfère dans le temps court au verrouillage de l’ordre international symbolisé en 1945 par le traité de Yalta, et sur la longue durée aux révolutions de 1917, 1848 ou 1789. C’est un moment historique qu’il faut appréhender en tant que tel.
« Effondrement des régimes communistes, fin de la Guerre froide, établissement de nouveaux régimes démocratiques, démantèlement des économies administrées, implosion de l’empire soviétique, autant de facettes d’un même événement « 1989 » qui a ouvert une nouvelle époque. Il a été un bouleversement européen de grande ampleur qui, dans la plupart des cas, aboutit sans violence à ce que nous appellerons une révolution démocratique. Il validait en Europe centrale, la stratégie dite du « nouvel évolutionnisme », théorisée par Adam Michnik et Vaclav Havel dans les années 1970-1980. Toutefois, les acteurs et les observateurs du moment ont hésité à le qualifier : à quoi assiste-on, s’agit-il d’une révolution en absence d’affrontements violents ? »
La démocratie ou la guerre?
« Les gauches européennes ont véritablement démissionné. Elles avaient raté leur rencontre avec les oppositions démocratiques à l’Est, et plus généralement avec les sociétés et les nouvelles élites qui émergeaient. Grisées par leurs conquêtes électorales dans la plupart des États européens, elles ne s’étaient guère intéressées aux réflexions des démocrates qui luttaient contre les régimes communistes. Les mouvements de soutien étaient demeurés marginaux, excepté un court moment après le coup de force du général Jaruzelski en 1981 (France, Allemagne, États-Unis). Les discussions sur « l’Europe de l’Est » s’étaient limitées au concept de totalitarisme, sans réflexion particulière sur le devenir de la Communauté au-delà du partage de Yalta. Et, en 1989, confrontés à une succession inattendue de crises, elles ont réagi au coup par coup, avec prudence (voire méfiance), sans vision d’avenir. Ils se sont alignés sur les projets de Gorbatchev, et sont restés obsédés par les « menaces » de l’unification allemande. François Mitterrand le premier. Conscient que cette séquence historique mettait en cause le partage de Yalta, il a pensé la « question allemande » en restant dans l’esprit des guerres mondiales. »
« L’espoir européen devait se traduire, pour les leaders des révolutions démocratiques, par la fin de la division européenne décidée à Yalta et par une « réunification » pacifique. Mais les dirigeants occidentaux n’appréciaient guère cette grandiloquence historique pourtant justifiée. Ils n’ont pas pris au sérieux le projet d’une Europe stabilisée, en dehors des blocs et des pactes, dont rêvait Havel. »
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Le gâchis néolibéral
« Trente ans après les révolutions démocratiques de 1989-1991, le paysage européen, et particulièrement centre européen, ne ressemble pas à ce qui était espéré à la fin des années 1980. Un désenchantement d’une partie des sociétés est patent. Les villes qui symbolisent l’action européenne de ces trente dernières années s’appellent plutôt Sarajevo, Athènes ou Budapest. La première a été abandonnée par des Européens divisés, au plus long siège militaire d’une ville européenne depuis 1945, aux massacres et aux destructions. La deuxième, au contraire, a été mise sous la tutelle d’une « troïka » de fonctionnaires européens (CE et BCE) et du FMI, pour appliquer des politiques d’austérité sans précédent et rembourser les dettes contractées par des élites grecques corrompues, au prix d’une catastrophe sociale pour les plus faibles. Quant à la troisième, elle incarne avec le chaos de sa gare débordant de réfugiés syriens en 2015, et les discours xénophobes de Viktor Orbán, le refus de l’Europe centrale d’accueillir des réfugiés musulmans. »
https://blogs.mediapart.fr/jean-yves-potel/blog/310819/les-sens-de-1989-le-gachis-neoliberal-33?fbclid=IwAR0WLZoALuo5koibDM04yZ-oCPKxyN0-fKrc9Ove-6htIwhjv4pUZcUVGJQ