Comment une loi en apparence liberticide, interprétée comme interdisant de suggérer l’implication des Polonais dans la Shoah, a pu être votée par l’Assemblée nationale polonaise la veille de la célébration du 73e anniversaire de la libération du camp de la mort d’Auschwitz ? – demande la philosophe Anna Zielinska. C’est aussi quelques semaines avant le 50e anniversaire des évènements du Mars 68 qui ont conduit au départ de dizaines des milliers des Polonais ayant les racines juives, que le pouvoir en place a décidé de soumettre au vote la loi prévoyant notamment une peine de trois ans de prison contre les personnes coupables « d’attribuer à la nation ou à l’Etat polonais, de façon publique et en dépit des faits, la responsabilité ou la coresponsabilité des crimes nazis commis par le IIIe Reich allemand – ou tout autre crime contre l’humanité (…) ou crime de guerre ».
Signe que plusieurs démons du passé se sont réveillés, une partie du travail formidable effectué en Pologne autour de l’héritage juif est défait, comme en témoigne la pétition lancée par des milieux « patriotiques » pour destituer de ses fonctions Piotr Cywinski, directeur du Musée Auschwitz, accusé de porter atteinte « à la mémoire historique polonaise ». M. Cywinski a fait pourtant plus pour la Pologne depuis 1989 que tout le corps diplomatique. – juge Anna Zielinska.
Si Serge Klarsfeld plaide pour un gouvernement en exil à Londres qui s’est tenu aux côtés des juifs polonais, qui a alerté les puissances alliées – la mission Karski auprès de Churchill et de Roosevelt…, l’historien Paul Gradvohl, fin connaisseur de l’histoire de l’Europe de l’Est, livre une démonstration complète de réécriture de l’Histoire nationale polonaise depuis l’occupation allemande : Aujourd’hui, en lieu et place de l’Armée de l’intérieur, les héros dont la gloire est commémorée sont issus des forces armées nationales : samedi à Munich, M. Morawiecki s’est recueilli sur la tombe de soldats de la brigade de la province de Sainte-Croix, célèbre pour avoir collaboré avec les nazis dans la chasse aux juifs. Ce geste officiel prolonge une résolution votée par la chambre basse polonaise, en septembre 2017, pour fêter les 75 ans de la création de ces Forces armées nationales – qui divisaient pourtant la résistance polonaise.
Ses propos sont plus nuancés au sujet du gouvernement de Londres : Plus encore, la ligne actuelle du gouvernement est d’exonérer de toute responsabilité dans le génocide les autorités polonaises et tous les groupes antisoviétiques. Or, il est clair qu’il existe deux obstacles à cette exonération. D’une part, l’Etat polonais en exil a eu une politique souvent hésitante face à l’antisémitisme, ce dernier étant combiné à un anticommunisme alimenté par la violente répression antipolonaise en URSS et en Pologne, annexée entre 1939 et 1941. Le massacre de Katyn n’en fut qu’une manifestation.
Hélène Waysbord et Thierry Philip posent cette question : Où s’arrêtera l’imposture ? Décidément aucune leçon ne peut donc être tirée de l’histoire ? Sur les lieux mêmes du massacre le plus vaste perpétré contre l’homme, on assiste à l’émergence d’un révisionnisme d’Etat. Le XXe siècle nous a montrés à quels errements, à quels désastres conduit la volonté de substituer des fictions héroïques à la recherche de la vérité.
A lire les tribunes publiées par le journal Le Monde :
Photo : www.kulturalna.warszawa.pl 75e anniversaire de l’Insurrection du Ghetto de Varsovie le 19 avril 2018