Du respect, de la responsabilité et de l’outrage : Elzbieta Podlesna au tribunal

Elżbieta Podleśna est une militante polonaise indépendante, elle lutte pour les droits des femmes et de la communauté LGBT+. C’est à ce titre là qu’elle a été souvent agressée par la police et des manifestants d’extrême droite (notamment après qu’elle a brandi avec d’autres femmes une banderole sur laquelle on pouvait lire « Stop au fascisme » lors d’une marche organisée le jour de l’indépendance à Varsovie en 2017).

Le 29 avril 2019, Elżbieta Podleśna, Anna Prus et Joanna Gzyra-Iskandar ont collé des affiches représentant la Vierge Marie (connue sous le nom de Vierge noire de Częstochowa), avec un halo arc-en-ciel autour de la tête et des épaules, en soutien à la cause LGBTI+. Par la suite l’appartement d’Elżbieta Podleśna a été perquisitionné par la police, son matériel a été saisi et elle a été détenue pendant plusieurs heures. En juillet 2020, Elżbieta Podleśna, Anna Prus et Joanna Gzyra-Iskandar ont été accusées d’avoir « insulté publiquement un objet de culte religieux sous la forme de cette image qui offensait les sentiments religieux d’autrui » en vertu de l’article 196 du Code pénal. Elles risquaient jusqu’à 2 ans d’emprisonnement.

Par leur geste, elles entendaient protester contre la décision de l’Eglise locale de créer une boîte spécifique LGBT pour recueillir les demandes de pardon et de repentance des paroissiens. Elles s’exprimaient également contre le fait que près du tombeau du Christ on a mis en évidence les péchés tels que mensonge, haine et… LGBT.

Le tribunal de Płock, dans le centre de la Pologne, a tranché, mardi 2 mars : pour lui, les militantes n’avaient aucune intention de commettre une offense, elles voulaient juste militer pour l’égalité des droits. Elles ont été relaxées. C’est une victoire symbolique et une décision de justice emblématique pour les militants LGBT et les organisations de défense des droits de l’homme.

Cependant, cette décision est loin de mettre un terme à ce bras de fer. D’abord, il est probable que le juge aille en appel. Et puis d’autres procès du même acabit sont déjà programmés. Le plus important a débuté le 1er mars à Gdańsk. Trois hommes y sont poursuivis pour avoir déboulonné la statue d’un ancien aumônier catholique accusé de pédophilie. Et lors de la première audience, la magistrate qui préside les débats a refusé de laisser parler les accusés.

La lutte continue…
La plaidoirie de Mme Podleśna lors de son procès nous a semblé importante. Dans un style bien à elle, parfois faussement naïf, mais plein de références, c’est son credo, sa morale, sa façon de vivre et de penser qui sont exprimés. Son « J’accuse ». Ecoutons cette femme digne et courageuse.

Votre honneur,

Lors de l’audience précédente, Tadeusz Łebkowski[1] avait parlé de sa relation affective exceptionnelle avec la Vierge Marie de Częstochowa.

On pouvait presque s’imaginer dans sa maison familiale. Aujourd’hui, je voudrais vous emmener dans la mienne en l’année 1978, quand à l’âge de dix ans j’ai eu un très grave accident de la route.

Ma mère est rentrée de l’hôpital et a dit à sa mère qu’on ne savait pas si j’allais vivre parce que mes blessures étaient graves. Alors, ma grand-mère chérie, elle s’est levée et lui a dit « La vierge Marie ne permettra pas qu’on fasse du tort à un enfant. »

Pour moi, qui suis croyante, mais pas catholique, car j’ai rompu récemment avec cette Eglise, entre autres du fait de l’attitude de Tadeusz Łebkowski, c’est surtout ça qui m’a poussée à participer à cette action.

Il me fallait montrer que Marie ne permet pas qu’on fasse du tort à un enfant, un enfant arc-en-ciel, un enfant né avec une identité sexuelle différente, pas hétéronormé,

Montrer que cette Mère protège ceux que les fonctionnaires de l’Eglise catholique rejettent en dehors de sa communauté et s’attribuent le droit de statuer sur la place que ces personnes doivent occuper dans un pays, je me permets de vous rappeler, jusqu’à nouvel ordre laïc.

 Łebkowski et la croix gammée

Ce qui m’a particulièrement étonnée lors de la dernière audience, et Tadeusz Łebkowski a repris encore ce propos, c’est la comparaison pour moi incroyablement douloureuse du symbole de l’arc en ciel, symbole des lesbiennes, des gays, des personnes bisexuelles et transsexuelles avec la croix gammée, sans doute le pire symbole de la cruauté dans l’histoire de l’humanité.

Que signifient les couleurs du drapeau arc en ciel ?

Puisqu’il semble que ni Kaja Godek[2], ni Tadeusz Łebkowski, n’aient la moindre idée de l’usage et de l’origine de l’arc en ciel, je rappelle qu’il est apparu en 1978, à l’initiative de Gilbert Baker qui, à l’occasion des fêtes de Noël, a révélé  à sa mère qu’il était gay.

Au départ, le drapeau des personnes LGBT avait huit couleurs, le rose désignant le sexe, le rouge la vie, l’orange la santé, le jaune l’éclat du soleil, le vert la nature, le turquoise l’art, le bleu l’harmonie, et le violet, attention, l’âme.

Aucune de ces couleurs ne porte attaque aux sentiments religieux.

Huit est devenu sept car Gilbert Baker n’a pas pu trouver de tissu rose, et sept devient six quand on a plié le drapeau en deux.

Il est donc comme ceci, ce symbole né pour que les personnes persécutées et harcelées dans le monde entier puissent enfin se sentir fortes et fières.

Le contraire du triangle rose

Ce symbole était le contraire, le contrepoids au triangle rose. Ce qui me fait affreusement mal, M. Łebkowski, c’est que l’on puisse dire que le drapeau arc en ciel est comme la croix gammée, la svastika. Vous ne savez peut-être pas que le fascisme haïssait les différences sexuelles, comme tous les totalitarismes d’ailleurs. Selon le paragraphe 175 du droit fasciste, les hommes soupçonnés d’actes homosexuels, et à partir de 1935, exclusivement sur la base de soupçons, étaient condamnés et envoyés en camps de concentration et marqués d’un triangle rose.

La comparaison du drapeau arc en ciel avec la crois gammée est incompréhensible, et témoigne de l’ignorance de l’histoire, dans votre bouche, elle sonne comme une mauvaise plaisanterie.

Dans les camps de concentration sont morts près de 60% des prisonniers homosexuels et vous parlez de la croix gammée ?

Dans les camps de concentration, plus bas que les homosexuels dans la hiérarchie se trouvaient seulement les homosexuels juifs marqués de deux triangles, jaune et rose.

Tadeusz Łebkowski lors de la dernière audience et aujourd’hui encore a parlé à plusieurs reprises de la révolution néomarxiste Je tiens donc à vous informer qu’à partir de 1944 en URSS l’homosexualité était une infraction criminelle, l’acte homosexuel pouvait être puni de 3 à 5 ans de prison et ce, jusqu’en 1993. Mais heureusement, les lois changent. Le mot profanation qu’on a utilisé aujourd’hui plusieurs fois ici n’est pas en Pologne un terme du droit, et ce depuis 1932. On utilise actuellement le terme : outrage aux sentiments religieux.

Mme la procureure  a dit que l’acte criminel  doit être puni. Je voudrais vous répondre, en évoquant Thomas Jefferson : quand l’injustice devient le droit, la résistance devient un devoir.

Je comprends cet acte comme un devoir

Cet acte, Mme la procureur, je l’ai commis délibérément, je suis venue délibérément à Płock, pour me ranger du côté des personnes persécutées, pour soutenir ceux dont Tadeusz Łebkowski parle avec tant de haine. Je comprends cet acte comme mon devoir.

Je voudrais dire une chose qui a été évoquée heureusement par notre avocat, parler de la liste de l’opprobre, de la liste d’évêques, nos évêques qui couvrent la pédophilie active dans l’Eglise, contribuant ainsi à la souffrance des enfants. Dans l’installation célébrant la fête de Pâques dans l’église de Płock, la pédophilie ecclésiastique n’a pas trouvé sa place.  Un quart de siècle durant, les organes juridiques ont été impuissants pour traquer les prêtres pédophiles, comme Andrzej Dymer[3], les évêques s’y étant opposés à chaque fois. A chaque fois quand on demande l’accès aux actes des procès contre les prêtres pédophiles, on essuie un refus jusqu’à ce qu’il y ait prescription.

C’est Dymer et d’autres évêques qui représentent l’outrage aux sentiments religieux.

Ce qu’ont fait Andrzej Dymer et les évêques de Szczecin dans les années 1995-2021, est un outrage aux sentiments religieux.

Nombreuses personnes ne s’étaient pas opposées contre le fait qu’un prêtre violeur d’enfants dirige une école primaire, un lycée, anime un club de jeunes ou un centre d’accueil et d’éducation.

Cela offense tout mon être et me fait horreur. Et cela m’amène à désirer qu’enfin quelqu’un rétablisse la justice et ne punisse pas celui qui défend les plus faibles, et qu’enfin dans l’Eglise catholique, à laquelle je n’appartiens plus, mais qui malheureusement a une influence énorme sur la réalité en Pologne, quelqu’un prenne enfin au sérieux ces paroles : « Malheur à vous, les scribes et les pharisiens, les hypocrites car vous donnez la dime de menthe, de fenouil et de cumin mais vous omettez ce qui est plus important dans le droit, la justice, la miséricorde et la foi. Guides aveugles, qui filtrez le moucheron et avalez le chameau ». (Matthieu 23:13-24).

Des éditorialistes catholiques ont essayé de défendre les enfants contre Dymer. Zbigniew Nosowski, rédacteur en chef de la revue « Lien[4] », même le fondamentaliste Tomasz Terlikowski, sont restés impuissants.

Et moi, après les souvenirs de famille que je me suis autorisée à évoquer au début, il me fallait vraiment être patiente en vous écoutant qui parliez du soi-disant affichage des représentations de la Vierge Marie sur des toilettes portables et des poubelles. J’espère que les preuves apportées par Maître Baszuka ont démontré que ce n’était pas vrai.

Parlons du respect et de la responsabilité

Hier, me préparant à l’audience, j’ai demandé à un gay, une lesbienne, une personne bisexuelle et une personne transsexuelle ce qu’elles souhaiteraient entendre dans cette salle. J’ai été très étonnée, aucune n’a parlé des persécutions endurées, je connais ces personnes et je sais ce qu’elles ont vécu, ce sont mes amis, certains sont même plus que des amis, des personnes que j’aime.

Aucune n’a parlé d’oppression, aucune n’a parlé de discrimination. Elles ont demandé que dans cette salle l’on parle de respect et de responsabilité. Responsabilité pour les enfants et les jeunes. Pour qu’ils puissent grandir en Pologne sans peur des persécutions. Car, Madame la procureur, si tout le monde n’est pas d’accord sur l’appréciation de notre acte, certains dans leurs dépositions  considèrent que nous avons exagéré pas parce que nous avons offensé le sentiment religieux de quiconque mais parce nous pouvions craindre les représailles du côté de la communauté catholique de Płock. Et comme nous l’avons vu ensuite, non sans raison.

La moitié des enfants LGBTQ+ se cachent devant leurs parents

Pourquoi le respect et la responsabilité pour le sort des plus jeunes et des plus faibles sont-ils nécessaires? Parce que presque la moitié des enfants polonais LGBTQ+ ne révèle pas à ses parents son orientation ni son identité sexuelle, ces enfants ont peur. Ils ont peur de l’avouer à leurs parents. La moitié de cette moitié est rejetée par ses parents, souvent également de manière concrète, c’est-à-dire rejetée, expulsée de la maison.

Seulement un père polonais sur quatre d’un enfant LGBTQ connaît son orientation, son identité sexuelle. Les autres l’ignorent. Les mères s’en sortent mieux. D’où l’image de la mère qui prend soin de son enfant.

L’Eglise catholique et des prêtres comme Tadeusz Łebkowski hostile à la communauté LGBT ont une influence certaine sur ce type de réactions parentales.

L’Eglise selon le prêtre Hojoł ou selon le prêtre Czajkowski

 L’Eglise, en effet, peut se ranger du côté des minorités ou s’acharner contre elles, comme le prêtre Józef Hojoł, le responsable de l’attaque contre l’orphelinat des enfants juifs rescapés de l’Holocauste à Rabka, en août 1945, prêtre catholique qui a admis qu’il fallait terminer l’œuvre d’Hitler car les enfants juifs « ne vont pas bien dans le paysage polonais ».

Les enfants sauvés de l’extermination !

Ou alors comme le prêtre Aleksander Dołęgowski, qui a incité au pogrom des voisins juifs à Radziłów en 1941. Maintenant, c’est pareil pour les personnes LGBTQ, soit l’Eglise peut s’en prendre à elles, soit les aider, les soutenir, et ne pas les considérer comme pécheurs, ne pas juger qu’ils n’aient pas place dans la conception de l’homme selon l’Ancien Testament.

Elle pourrait, au contraire, discuter avec les parents qui rejettent ces enfants, expliquer aux médias, débattre avec les fonctionnaires qui cherchent en permanence à plaire à l’Eglise, ce que l’affaire Dymer a clairement démontré.

Les hommes de l’Eglise d’aujourd’hui pourraient être comme le prêtre Bolesław Czarkowski de Brańsk qui s’est opposé à ce qu’un pogrom antijuif puisse avoir lieu.

Je n’accepte pas qu’une foi, une religion, quelle qu’elle soit, puisse être utilisée pour outrager l’homme.

Il est inacceptable que l’Église au lieu de promouvoir l’amour et la paix, attise l’homophobie, en véhiculant la théorie ridicule selon laquelle l’homosexualité serait une maladie grave qui nécessite un traitement.

Et peu importe les conséquences que je devrai endurer, je me rangerai toujours du côté des minorités persécutées.

L’article 196 du Code pénal, d’après ce que je sais, trouve son origine dans la nécessité de défendre les minorités religieuses. Or il est devenu un outil d’attaque au service d’un groupe particulièrement privilégié, qui veut maintenant renforcer l’homophobie et l’habiller de sentiments religieux.

Votre honneur, je demande mon acquittement.

Traduction : Anne Duruflé (Association Solidarité France-Pologne) et Agnieszka Grudzinska (ADDP)

[1] Prêtre connu pour ses positions homophobes. Il s’est constitué partie civile lors du procès.

[2] Activiste pro life menant des campagnes anti IVG, volontaire dans la fondation « Vie et famille », connue pour ses propos violemment homophobes. C’est elle qui a porté l’affaire d’E. Podleśna devant le tribunal.

[3] Prêtre abusant depuis 25 ans des jeunes garçons, resté impuni jusqu’à sa mort en février 2021.

[4] Więź, revue catholique progressiste

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